Ajouté le 27 juil. 2017
Comme beaucoup d’enfants uniques, j’ai très tôt appris le goût de l’ennui. J’ai grandi dans une maison de campagne relativement isolée et proche d’une forêt. Très vite j’ai appris les odeurs, les bruits, les sensations de cette forêt, de Ma forêt.
Je partais souvent seule jusqu’au ruisseau que je connaissais par cœur, à tel endroit il y avait une pierre, puis une autre qui me permettait de traverser et d’arriver à la limite d’une propriété. Autour de cette forêt: des champs de maïs et des pierres fossiles, c’était chaque jour le grand trésor à rencontrer et lorsque la magie opérait et que sur mon chemin une pierre se laissait trouver, alors c’était merveilleux. J’ai aimé très tôt ce rapport à la nature, aussi je ramassais tout ce qui me semblait beau, et presque tout me semblait beau : les feuilles, les grains de maïs, les perles de pluies, les bouts de bois, la terre que je transformais ensuite en « poudre de terre » une fois épurée de tous ses résidus. La sensation de la terre mouillée, son odeur brute de fraîcheur me ravissait et me donnait envie de la pétrir encore et encore en y incorporant tout ce que j’avais récolté sur mon chemin. Mes parents étaient ensuite invités à déguster des gâteaux de terre au maïs ou autres bouts de bois marinés aux feuilles.
Ma connexion avec La Matière s’est faite là. Puis la fusion de la peinture avec les matières fut une découverte féerique. Tout d’un coup la terre pouvait être bleue, le bois rouge, et mes pierres multicolores… L’ennui s’est transformé en création car grâce à lui j’avais appris à regarder, à fabriquer. Aujourd’hui encore la sensation de mes mains dans des mélanges de marc de café, de colle et de sable me procure de grandes émotions. Il y a dans ce geste ancestral de création une sensation pure difficilement égalable. D’abord l’excitation de Faire, de fabriquer, comme un rendez-vous avec une pulsion vitale qui garantit un grand plaisir. Ensuite il y a le contact physique avec les matières : c’est froid, granuleux, épais, fragile, léger, doux, saillant ou coupant selon les assemblages et puis vient le moment où surgit l’impression de se rapprocher d’une sorte d’unité, de faire un avec la matière et les matériaux; l’impression d’être plus proche de soi mais également dépassée par quelque chose de plus grand que soi. Un tout qui apaise et rassure de son voile de plénitude.
A cette enfance passée à sentir la terre rouler sous mes doigts, les feuilles crisser sous le vent et les cailloux se polir dans les ruisseaux, s’est ensuite imposée une adolescence un peu plus compliquée. Je voulais créer car ça me semblait la chose la plus naturelle du monde, mais très vite mon environnement familial et scolaire me conseillèrent de passer mon « Bac » d’abord et de me « divertir » ensuite ! Ce que je fis mais dans le « mauvais » ordre. J’ai donc « échoué » à mon premier baccalauréat ce qui donna raison à mon entourage. Comme je n’étais même pas admise aux rattrapages, j’ai décidé de partir en Turquie avec un organisme d’échange international. Je fuyais ma famille et un système qui ne proposaient aucune solution, et je n’étais pas assez armée pour imposer mes choix. J’ai donc fui mais comme chaque fuite à son retour, j’ai dû, un mois après cette expérience très enrichissement me confronter à la réalité scolaire qui m’attendait. Aucun établissement n’acceptait mon redoublement car mon seul intérêt pour l’art n’était pas suffisant pour prétendre à une deuxième terminale. Il a donc fallu sous la pression de mes parents et de l’établissement scolaire dans lequel j’étais que je m’engage par écrit, à travailler dans toutes les matières pour « espérer » faire quelque chose de mon avenir. L’école fut un poids réel et je ne comprenais pas pourquoi les filières artistiques étaient aussi déconseillées alors même qu’elles faisaient partie d’un champ de possibles proposés. J’aurais préféré à cette époque faire n’importe quelle formation artistique aussi peu diplomate fut-elle plutôt que de repasser mon bac. Mais je n’ai pas eu le choix.
Une fois mon baccalauréat en poche après une année scolaire de contraintes et d’efforts à apprendre des choses par obligation pour pouvoir les recracher le jour J, j’ai décidé de poursuivre mes études d’art. Cette fois, la réticence est venue du système scolaire seul, qui me déconseillait fortement cette voie qui ne débouchait sur aucun métier stable, excepté peut-être professeur, dixit : l’éducation nationale ! Alors je suis devenue professeur d’art sans jamais cesser de créer. J’ai essayé de faire plaisir en m’y retrouvant quand même !!!
Sortie de l’université, je commençais à donner, à droite à gauche, quelques cours d’art dans différentes structures. Un jour, après des heures de classe un peu mouvementées, je décidais d’aller boire un café près de l’Océan. La patronne des lieux engagea la conversation avec moi et me demanda ce que je faisais dans la vie et pour la première sans réfléchir je dis un peu timidement: « artiste, je suis artiste », c’était la première fois que je répondais en disant artiste avant professeur. Elle voulut savoir ce que je faisais. Je n’avais à ce moment-là que quelques toiles visibles mais je lui proposais de les lui apporter, simplement par plaisir pour les lui montrer. Quelle ne fut ma surprise lorsqu’elle me demanda quel était le prix de mes toiles ! N’ayant absolument pas réfléchi à cette problématique et de surcroit très embarrassée je répondis un prix au hasard et relativement dérisoire. La dame acheta sur le champ les trois toiles que j’avais amenées.
En sortant de son établissement, à la fois heureuse et un peu hagarde de cette opportunité inespérée, je réalisais combien il m’était agréable de recevoir l’intérêt de quelqu’un pour mon travail et que je n’avais jusque-là jamais ressenti quelque chose d’aussi gratifiant. C’était une évidence maintenant, je voulais partager et vendre mon travail.
Je commençais alors à passer de plus en plus de temps à produire pour créer mon fonds de commerce. En même temps que je produisais je réfléchissais aux endroits dans lesquels j’allais bien pouvoir proposer mon travail. Des restaurants ? Des Bars ? Des magasins de décoration ? Des galeries ? Oui des galeries ! Je me disais que c’était le meilleur endroit pour vendre et obtenir une « reconnaissance » et que si la chance continuait à me sourire ce serait facile.
J’ai d’abord démarché la galerie de ma ville, qui ne prenait que des artistes de maturité (maturité artistique bien entendu m’avait-on expliqué) puis je commençais à envoyer des dossiers dans des salons d’art. Je découvris aussi par la même occasion qu’il fallait payer dans certains endroits pour montrer son travail. Je n’obtins que des refus ou des déclinaisons pendant des mois et des mois. Tout ce qui m’avait semblé si facile avec cette première cliente s’avérait maintenant un casse-tête sans complaisance. J’essayais alors des démarches auprès de restaurateurs pensant que c’étaient peut-être les seuls, au même titre que cette unique cliente, à aimer mon travail. Rien n’y faisait je me sentais comme punie d’avoir commencée trop vite, comme s’il fallait que je paye le fait d’avoir était si heureuse et si enthousiaste de vendre ces trois toiles. Face à l’ampleur des refus répétés, je pensais que j’avais sûrement dû être trop prétentieuse de penser que mon travail aller intéresser, aller se vendre, et que tout ce qui m’avait été dit dans mon entourage, et, durant ma scolarité était bel et bien vrai : Le métier d’artiste n’était pas un métier, à quelques exceptions près, on ne pouvait pas vivre réellement de ce travail et ceux qui y parvenaient, étaient beaucoup plus talentueux que moi à l’évidence. Le milieu de l’art était donc devenu un univers que je parcourais dans les magazines spécialisés, qui continuait à me faire rêver mais que je regardais de loin car je n’y avais pas ma place.
Et puis il y eu cette annonce pour le salon international de Shanghai (2004) dans une revue d’art qui cherchait des artistes pour aller exposer en Chine. Il fallait candidater par dossier, toutes les formes d’expressions étaient admises. Ce fut comme un nouveau réveil, « pourquoi ne pas essayer ? » pensais-je, « si on ne veut pas de moi ici on voudra peut-être de moi ailleurs, et puis c’est quand même la Chine! Il doit y avoir beaucoup plus d’opportunités, c’est certain !! » Je constituais donc mon dossier et recevais quelques jours plus tard une réponse favorable. Quelle joie ! Quelle opportunité géniale de pouvoir exposer à l'international ! Tous les voyants de la bonne humeur s’allumaient devant la reconnaissance de ces spécialistes !!! Une fois les conditions d’exposition entendues, je me mis à produire une vingtaine de toiles spécialement pour cette exposition et confectionnais une caisse pour leur l’exportation. Ce fut une période débordante d’énergie où tout me semblait à nouveau possible.
Une fois en Chine, dépassant tour à tour les décalages auxquels je faisais face, je regardais ces six jours d’exposition qui étaient maintenant là devant moi comme un véritable tournant dans ma vie artistique. J’allais pouvoir vendre, trouver de bons contacts, et pourquoi pas: travailler de manière pérenne avec une galerie Chinoise.
Mais rien de ce que j’avais prévu ne se déroula, pendant les cinq premiers jours aucune vente ne se concrétisa, tout s’effondrait devant moi, tous les espoirs que j’avais misés dans cette exposition n’étaient qu’illusion, déception, sans compter l’argent que je j’avais engagé pour le voyage, tout ce temps de travail perdu, parti aux oubliettes. Les quelques galeristes que j’avais approchés, avaient tous déclinés mes demandes, il ne restait qu’un jour et je savais que tout était déjà joué pour ne pas dire perdu. Il y eu quand même une bonne âme charitable qui m’acheta deux toiles, deux heures avant la fermeture, en faisant baisser le prix de moitié, ce qui allégea un peu le méandre financier, mais pas ma peine. Traverser la moitié du globe n’était donc toujours pas suffisant, je ne voyais plus de solution, sauf celle de me rendre à l’évidence que la vie d’artiste était très compliquée et que je n’étais peut-être pas capable d’endurer autant de difficultés.
Après cette période décevante, il y eu en 2006: cette merveille exposition de Zao-Wou-Ki à laquelle je couru, je me souviens de la mise en scène parfaite des toiles immenses qui se jetaient dans l’espace avant de nous engloutir ; c’est sans aucun doute la plus grande émotion artistique que j’ai vécu cette année-là. Juste avant de sortir, j’engageai la conversation avec l’inconnu qui travaillait à l’organisation des évènements artistiques de la ville et qui me disait l’importance d’être côté pour un artiste en devenir. Il m’expliquait que ça me permettrait de me libérer d’une hésitation par rapport aux prix de mes toiles et d’obtenir une crédibilité face aux futurs acquéreurs. Son discours me semblait cohérent. Je partis donc en quête d’une maison de vente aux enchères, en me disant qu’effectivement une côte était un argument d’importance, et que je serais par la même occasion enfin fixée sur le prix de mon travail.
J’ai donc été cotée en 2006 par une maison de vente aux enchères à Neuilly, ce fut un véritable tournant car quelque chose d’officiel venait de se produire, j’étais maintenant référencée, c’était vrai puisque j’avais une attestation de vente et une côte officielle à la clé. Le message de mon travail était passé. J’avais été entendue. Je pouvais dorénavant dire sans avoir la sensation de m’excuser: « je suis artiste »
Cette reconnaissance a été fondamentale car je n’ai par la suite, jamais cessé d’utiliser cette donnée pour informer mes interlocuteurs. J'ai depuis la chance de voyager grâce à mon travail, de rencontrer des horizons aussi différents qu'enrichissants et de croire profondément aux ressources de chacun d'entre nous.
On ne sait jamais d’où viendra la reconnaissance, celle qui nous réconcilie avec nous même, avec nos choix, celle qui fait que l’on se réveille en se disant j’ai bien fait de persévérer. Chaque reconnaissance, (du moins que l’on identifie comme telle) est un pas, un sourire, un élan à la vie et une source d’énergie infinie qui nourrit l’existence de notre travail. Depuis, je puise dans chaque regard qui me fait du bien, car j’ai compris que la reconnaissance n’est pas tant ce que l’on obtient de l’extérieur mais ce que l’on en fait. J’ai peut-être cherché la légitimation car tout autour de moi m’en dissuadait, mais au final le plus important c’est que je me suis rencontrée moi, avec cette sensation fabuleuse de me sentir à ma place dans ce monde.