VIBRANT SUNRISE (ÉTIRÉ) (2024)Peinture de Nadiia Antoniuk
Pourquoi l'expressionnisme ? Un pont entre les cultures artistiques de l’Allemagne et de l’Autriche
Parmi les mouvements artistiques qui se sont fortement développés en Allemagne et en Autriche, les plus importants sont l'expressionnisme, le Bauhaus et la Sécession viennoise. Il est plus facile de comparer l'expressionnisme allemand et autrichien que le Bauhaus et la Sécession viennoise. En effet, l'expressionnisme a laissé une empreinte large et profonde tant en Allemagne qu'en Autriche, avec un nombre important d'artistes et d'œuvres qui peuvent être analysés en parallèle. Ce mouvement s'est exprimé à travers différentes formes d'art telles que la peinture, la sculpture et l'art graphique. Dans les deux pays, les artistes expressionnistes ont partagé des objectifs similaires, tels que l'exploration de la condition humaine et l'expression des émotions intérieures, bien qu'avec des nuances locales et personnelles. Il apparaît donc clairement que l'expressionnisme offre un terrain d'entente plus large pour la comparaison entre l'Allemagne et l'Autriche, tandis que le Bauhaus et la Sécession viennoise, qui se différencient davantage par leurs intentions, leurs contextes historiques et leurs philosophies sous-jacentes, rendraient la tâche plus ardue et plus complexe.
MISIFUX (2024)Dipinto di Eva Hidalgo
Des couleurs chargées de sentiments : comprendre l'expressionnisme
L'expressionnisme, mouvement artistique né dans plusieurs villes d'Allemagne, est né en réaction à l'anxiété croissante face à la dysharmonie de l'humanité avec le monde et à la perte des sentiments d'authenticité et de spiritualité. Né en partie en réaction à l'impressionnisme et à l'art académique, l'expressionnisme s'est fortement inspiré des courants symbolistes de la fin du 19e siècle. Des artistes tels que Vincent van Gogh, Edvard Munch et James Ensor, avec leur penchant pour la déformation des formes et l'utilisation de couleurs intenses, ont profondément influencé les expressionnistes, leur permettant d'exprimer une variété d'angoisses et de désirs.
C'est précisément l'avènement de l'expressionnisme qui annonce de nouvelles normes en matière de création et de jugement de l'art. Ce dernier doit jaillir de l'intérieur de l'artiste, plutôt que de la représentation du monde visuel extérieur, et le critère d'évaluation de la qualité d'une œuvre d'art devient le caractère des sentiments de l'artiste, plutôt qu'une analyse de la composition. Les artistes expressionnistes utilisent souvent des coups de pinceau tourbillonnants, ondulants et "exagérément" exécutés dans la représentation de leurs sujets. Ces techniques visaient à traduire leur état émotionnel turbulent en réaction aux angoisses du monde moderne.
Cette approche de l'art doit également être comprise comme un puissant outil de critique sociale, dans lequel les représentations de la ville moderne incluent souvent des individus aliénés ou en détresse - un sous-produit psychologique de l'urbanisation récente - qui ont été utilisés pour commenter le rôle du capitalisme dans la distanciation émotionnelle des individus au sein des contextes urbains.
L'expressionnisme n'a donc pas seulement révolutionné les approches artistiques et visuelles, mais a également offert une profonde réflexion sur le monde, en mettant en évidence les tensions et les contradictions de la vie moderne.
Enfin, d'un point de vue chronologique, il est important de souligner que la phase classique du mouvement expressionniste, qui a duré approximativement de 1905 à 1920, s'est répandue dans toute l'Europe et a ensuite influencé de nombreux individus et groupes, notamment l'expressionnisme abstrait, le néo-expressionnisme et l'école de Londres. En ce qui concerne le monde contemporain, grâce à son langage visuel intense et à sa capacité d'expression émotionnelle, l'expressionnisme continue d'être une voix puissante dans le dialogue figuratif d'aujourd'hui.
KAZUMI TAUPE - FRAU IN GRÜN, OCKER, SCHWARZ ERNST (2022)Peinture de Carolyn Mielke (carographique)
Expressionnisme allemand : origines, développement et caractéristiques d'un mouvement révolutionnaire
L'expressionnisme allemand prend ses racines au début du XXe siècle et marque profondément le paysage artistique avec deux de ses groupes majeurs, "Die Brücke" (Le Pont) et "Der Blaue Reiter" (Le Cavalier bleu).
Fondé en 1905 à Dresde, le groupe Die Brücke a pour objectif de relier la peinture néo-romantique classique à de nouvelles formes d'expression qui seront plus tard identifiées à l'expressionnisme. Les membres de Die Brücke recherchaient un art plus authentique et plus intense, reflétant la solitude, l'aliénation et les tensions de la vie moderne. Ils utilisaient des lignes graphiques percutantes et des couleurs vives et saturées pour exprimer leurs visions intérieures, concentrant souvent leurs œuvres sur des scènes urbaines dynamiques et chargées d'émotion. Les principaux représentants de Die Brücke sont Ernst Ludwig Kirchner, Erich Heckel, Karl Schmidt-Rottluff, Fritz Bleyl, Emil Nolde et Max Pechstein.
En 1911, Der Blaue Reiter, fondé par Vasily Kandinsky et Franz Marc, voit le jour à Munich. Ce groupe se distingue par une approche plus abstraite et spirituelle de l'art. Der Blaue Reiter se concentre moins sur la représentation de la réalité extérieure que sur l'expression de dynamiques spirituelles et intérieures. Ce mouvement mettait moins l'accent sur les tensions sociales que sur l'harmonie universelle, explorant l'utilisation de la couleur et de la forme pour exprimer des émotions pures et profondes.
Alors que Die Brücke mettait l'accent sur une représentation brute et directe de l'expérience humaine, caractérisée par une critique sociale incisive et parfois brutale, Der Blaue Reiter penchait vers une vision plus lyrique et abstraite de l'existence, souvent déconnectée de la représentation directe du monde matériel. L'approche de l'abstractionnisme de Der Blaue Reiter a jeté les bases des futurs courants artistiques qui se sont développés après la Première Guerre mondiale.
Pensez-vous que j'ai oublié des maîtres comme Otto Dix ? Après la guerre, l'expressionnisme a évolué vers un style extrêmement réaliste, caractérisé par une dureté sans précédent, accompagnée de brutalité et de représentations choquantes. Ces qualités se retrouvent précisément dans l'art d'Otto Dix, ainsi que dans les œuvres de Max Beckmann et de George Grosz.
NATURE MORTE (2018)Peinture de Borys Buryak
Expressionnisme autrichien : histoire, caractéristiques et exposants
L'expressionnisme autrichien est né vers 1909-1910 à Vienne, avec des figures clés comme Oskar Kokoschka et Egon Schiele, qui ont poussé la peinture vers de nouvelles frontières émotionnelles, grâce à des portraits intensément personnels. Le mouvement s'est terminé tragiquement en raison des ravages de la Première Guerre mondiale et de l'épidémie de grippe espagnole qui a frappé l'Europe, entraînant la mort prématurée de maîtres tels que Gustav Klimt et Schiele lui-même. Cette période d'intense créativité artistique a également été marquée par l'effondrement de l'empire austro-hongrois et les profondes incertitudes politiques de l'époque.
L'expressionnisme viennois se distingue par son exploration intense de la figure humaine, utilisant le corps comme vecteur d'un rendu émotionnel extrême, souvent ancré dans des sentiments et des états d'âme spécifiques. Dans un contexte où les mouvements abstraits dominaient la scène artistique, ces artistes ont redécouvert l'importance des sujets, utilisant des coups de pinceau vigoureux et des formes dynamiques pour insuffler de l'"expression" à leurs œuvres.
Ernst Ludwig Kirchner, Marzella, 1909 - 1910. Huile sur toile, 76×60 cm. Musée, Stockholm.
Egon Schiele, Deux petites filles, 1911.
Comparaison entre "Marzella" d'Ernst Ludwig Kirchner et "Two Little Girls" d'Egon Schiele
Les œuvres "Marzella" d'Ernst Ludwig Kirchner et "Deux petites filles" d'Egon Schiele, bien qu'elles soient toutes deux ancrées dans l'expressionnisme, illustrent des approches distinctes et personnelles de la représentation de la jeunesse.
Peint entre 1909 et 1910, "Marzella" montre une exploration audacieuse du portrait féminin. Kirchner utilise des couleurs acides telles que le vert et l'orange, créant un contraste visuel qui s'écarte nettement de la sérénité typique des portraits de jeunes. Le sujet, une jeune fille nue, est assise, les mains croisées sur le pubis, dans un geste qui rappelle la "Puberté" d'Edvard Munch, mais avec une attitude beaucoup plus espiègle et consciente d'elle-même. Le décor, agrémenté de coussins et d'objets décoratifs, ainsi que l'utilisation de couleurs vives et de formes "déformées", contribuent à créer une atmosphère de luxe décadent. Kirchner exprime dans cette toile une critique de l'hypocrisie et de la corruption de la société contemporaine, reflétant l'agitation de l'homme moderne.
D'autre part, "Deux petites filles" de 1911 exprime l'intérêt profond de Schiele pour la psyché et l'innocence de l'enfant, en traitant ses sujets avec un sens du réalisme introspectif et de la vulnérabilité. Schiele, qui se décrivait lui-même comme un "éternel enfant", saisit la complexité émotionnelle de la croissance à travers ses jeunes modèles, qu'il dépeint avec un figurativisme austère mais souvent chaste. Les deux jeunes filles, représentées dans des poses naturelles et détendues, expriment une tranquillité et une spontanéité qui contrastent avec l'intensité émotionnelle plus typique des œuvres de Schiele, ainsi qu'avec la désinhibition partiellement perceptible dans "Marzella".
2 (2019)Peinture de Ramadan Hussien
SITZENDE IM GRÜNEN KLEID (2020)Dessin de Barbara Kroll
Expressionnisme allemand et autrichien contemporain : comparaison des sujets féminins
"2" de Ramadan Hussien et "Sitzende im grünen kleid" de Barbara Kroll sont deux œuvres d'artistes travaillant en Autriche et en Allemagne, conçues pour offrir des perspectives uniques et profondément personnelles sur la figure féminine, tout en maintenant un lien profond avec la tradition expressionniste.
L'œuvre de Ramadan Hussien, artiste syrien vivant en Autriche, a été réalisée à l'aide d'acrylique et de fusain sur toile afin de créer une image "polychrome" destinée à capturer l'essence émotionnelle et la complexité du sujet féminin. Les couleurs vives et les formes "déformées" sont précisément utilisées pour exprimer des sentiments intenses, faisant probablement allusion à l'état d'esprit de l'effigie et à son tourment intérieur. Toujours dans le but de rendre ce dernier aspect, Hussien a également combiné des détails partiellement abstraits avec des éléments figuratifs, éviscérant ainsi une profonde intériorité, qui va au-delà de la simple représentation visuelle. Enfin, les tons prédominants de vert, de bleu et de rose, qui se mélangent de manière fluide et dynamique, apportent énergie et mouvement à cette composition introspective.
D'autre part, Barbara Kroll, une artiste allemande, adopte une approche plus "nue" et "minimaliste" dans l'œuvre "Sitzende im grünen Kleid", où le support blanc émerge sous le trait épais, destiné à générer une autre forme féminine. Cette dernière a été créée par une combinaison de conté, d'acrylique sur papier et de techniques mixtes, grâce à laquelle Kroll a exploré la vulnérabilité et la réflexivité de son sujet, parfois envahi par des lignes floues. En ce qui concerne l'utilisation des couleurs, l'Allemande se révèle une fois de plus plus sobre et synthétique que sa collègue autrichienne, puisqu'elle n'utilise que le bleu, le vert et le rouge, qui sont distribués, soit en lignes, soit en arrière-plans.
Il devient alors évident que, bien que les deux œuvres démontrent une exploration intense de l'expression humaine et du langage visuel, Hussien utilise des couleurs vives et des formes audacieuses pour communiquer un plus grand mouvement émotionnel, tandis que Kroll utilise une palette plus étroite et des lignes fluides afin d'évoquer un calme introspectif prédominant.
NUDE 2 (2019)Peinture de Borys Buryak
LA FLEUR JAUNE (2022)Peinture de Victoria Cozmolici
Deux autres œuvres expressionnistes, concernant un sujet féminin, sont "Nude 2" de Borys Buryak et "The Yellow Flower" de Victoria Cozmolici. En commençant par Borys Buryak, l'artiste autrichien a créé une figure féminine nue en pied, visant à donner vie à un lyrisme sensuel, qui se combine à une atmosphère intime au goût très introspectif. En effet, c'est précisément dans la sensualité d'un intérieur faiblement éclairé que la belle femme nue nous tourne presque le dos, pour lever les mains comme si elle avait vu quelque chose d'intéressant devant la fenêtre, probablement apparenté aux drames de son cœur solitaire, ou les guérissant.
Victoria Cozmolici, peintre résidant en Allemagne, a quant à elle créé "The Yellow Flower", une œuvre représentant une figure féminine nue assise. L'intensité émotionnelle du sujet n'est pas rendue par la pénombre, mais au contraire par une palette vive et des coups de pinceau énergiques. Ce sont ces derniers qui donnent forme à une figure entourée de bleu, de jaune, de vert et de brun, des teintes combinées pour forger des éléments figuratifs ainsi que des éléments abstraits tels que des pensées.
Finalement, il devient évident que les mouvements de l'âme sont rendus différemment par les deux peintures, qui deviennent capables de nous faire réfléchir sur la façon dont le flux de la pensée peut nous atteindre dans n'importe quel contexte...