The Massacre of the Innocents (2018) Peinture par Detlef Gotzens

Le Massacre des Innocents de Dego Introduction par Leonard Beaulne Dans la tradition de la peinture occidentale, le Massacre des Innocents a été l'un des thèmes préférés des artistes pour dépeindre la brutalité de la guerre et la sauvagerie de l'humanité. Il n'est pas surprenant que les peintres y aient été attirés à une époque de conflits et de violences croissants, et de leur terrible impact sur les populations vulnérables. Ce fut particulièrement le cas chez les maîtres des XVIe et XVIIe siècles en Europe, comme Rubens, dont l'art s'épanouit à l'émergence de la nouvelle modernité. Avec ce sujet, ils pouvaient montrer la puissance de leurs innovations artistiques tout en condamnant indirectement la barbarie et la dépravation de leur temps. Ils ont travaillé, dans ce but, à développer un système visuel de représentation axé sur le mouvement, l'action, la dynamique, les contrastes aigus et la tension. Rubens est considéré comme ayant porté ce système à son plus haut degré. En regardant son Massacre des Innocents, on est frappé par l'énergie sombre qui palpite tout au long de la scène, le réalisme dans la représentation des corps humains, certains d'entre eux quasi sculpturaux, reflétant son intention de provoquer de fortes émotions de crainte, de peur , horreur et tristesse. En présentant son Massacre des Innocents, Detlef Gotzens (Dego) se charge d'une tâche ambitieuse qu'il accomplit avec un succès remarquable. Son travail capte avec autant de vivacité la perplexité, la confusion, la répulsion et l'épouvante des victimes abattues sans raison dans notre décor contemporain. Les défis auxquels est confrontée une peinture voulant restituer dans notre contexte un thème classique avec autant d'impact sont divers. Dego propose des solutions habiles qui font de son travail une réalisation remarquable. Il y a d'abord le défi d'établir la relation avec son illustre prédécesseur tout en évitant les pièges de la répétition, du pastiche ou du kitsch. Si le thème reste le même et l'intention similaire, Dego doit forger un langage pictural adapté aux attentes d'un public différent. Rubens pouvait s'appuyer sur le récit biblique comme repoussoir extérieur pour donner unité et cohérence à son œuvre. La crédibilité du récit était incontestable parmi ses contemporains et a soutenu l'acceptabilité de sa peinture. Dans ce cadre donné, il pouvait déployer toutes les ressources de son talent et les innovations de l'art baroque pour atteindre un impact maximum. Pour Dego, la situation est différente. S'il conserve certains des éléments structuraux de la composition de Rubens, notamment la masse centrale compacte de corps humains tordus et déformés où se déroule la tragédie, il lui faut reconstruire dans le tableau lui-même le contexte qui donnera sens à la scène. Les masses déséquilibrées de Rubens et leur interconnexion curviligne sont maintenant comprimées, tronquées et placées dans un plan principalement segmenté verticalement. Certains des personnages restent bien définis avec une texture picturale tandis que beaucoup d'autres planent au-dessus ou autour avec une présence fantasmagorique. Des indices arrimés à ces personnages ou éparpillés dans la composition, comme l'enfant soldat au premier plan tenant une arme mal définie, fournissent quelques indices sur ce qui se passe et les agences à l'œuvre. L'unité narrative traditionnelle de la scène est cependant rompue. L'expérience visuelle est constamment interrompue par la commutation et le chevauchement de plans segmentés accentuant le sentiment de dissonance et de discordance. Si certaines figures sont bien délimitées, donnant de la force à l'image, d'autres ont peu de contour, se confondant parfois avec le fond. L'illusion d'espace est très limitée car les perspectives aériennes et linéaires sont à peine présentes. La caractéristique la plus frappante de la peinture, à première vue, est peut-être la brillance, la grande luminosité et l'intensité des couleurs. Les couleurs pures façonnent les formes, créant une impression de netteté et de présence. C'est comme si les chiffres étaient vus à travers des médias numériques haute définition. Par le pouvoir de la représentation mimétique, le tableau d'ensemble devient une image des images, partageant avec elles la capacité de construire un monde autoréférentiel dont la grammaire est fournie par leur juxtaposition structurelle. Cela reflète bien l'expérience de base d'un public contemporain dont l'accès au monde est façonné et médiatisé par le réseau étendu des médias. L'illusion ainsi créée est que le monde est toujours « devant nous » et non « autour de nous ». En présentant une réinterprétation d'une œuvre aussi séminale que celle de la peinture de Rubens, Dego est également amené à relever un deuxième défi relatif aux nouvelles conditions de crédibilité visuelle de la peinture dans le contexte actuel. A minima, l'avènement d'une sensibilité moderniste fait disparaître les traits souvent décriés de « théâtralité » ou de « mise en scène » de l'art de Rubens. Une fois que les effets de « mise en scène » d'une peinture sont vus à travers, la peinture perd sa capacité à hypnotiser et à transpercer le spectateur. Le risque de « théâtralité » est cependant toujours présent dans toute peinture, car la convention fondamentale des peintures est d'être vu par un spectateur qui se tient toujours « devant ». Les artistes emploient de nombreuses stratégies pour neutraliser la « théâtralité » et ainsi renforcer la crédibilité. Dans son Massacre des Innocents, Dego propose une solution remarquable pour augmenter la crédibilité et renforcer l'impact de l'œuvre. Il insère un spectateur dans la structure de la peinture elle-même, créant un alter ego pour le spectateur. Cet alter ego est justement composé d'un collage de papier journal. Il est aussi désincarné que possible et semble n'exister que pour fonctionner comme un point de vue pour observer les images en cascade et épouvantables qui composent la scène. Nous sommes absorbés à notre insu par notre identification à cet alter ego, tout en restant en réalité hors de son champ de compétence. Un espace est ainsi ouvert permettant la possibilité d'une prise de conscience de soi. Le système de représentation qui sous-tend cette œuvre brillante nous permet, en tant que véritables spectateurs, de ressentir toute l'ambiguïté d'être de simples spectateurs tout en étant en même temps, à travers le déroulement du spectacle, encore profondément émus par la vue de la souffrance humaine. .

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