Décrypter les Chefs-d’œuvre : Nighthawks d’Edward Hopper

Décrypter les Chefs-d’œuvre : Nighthawks d’Edward Hopper

Bastien Alleaume (Crapsule Project) | 15 oct. 2021 5 minutes de lecture 2 commentaires
 

Symbole d’une Amérique profonde et mélancolique, Nighthawks est un monument américain de l’art moderne. Mais pourquoi est-elle si célèbre à travers le monde ?

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Edward Hopper, Nighthawks, 1942. Art Institute of Chicago.

Réalisée en 1942 par l’artiste américain Edward Hopper (1882-1967), cette huile sur toile s’épanouie dans de généreuses dimensions (84,1 x 152,4 cm). C’est l’un des rares chef-d’œuvre mondialement connu qui n’a fait l’objet que d’une seule et unique transaction : en effet, quelques mois seulement après sa réalisation, elle est acquise par l’Art Institute de Chicago pour la modique somme de 3000$. Depuis, l’œuvre n’a pas bougé de ses cimaises, à l’exception de quelques prêts à l’étranger pour des expositions de grande envergure.

Un artiste mélancolique

616976e90de0d9.05074604_edward-hopper-autoportrait.jpgEdward Hopper, Autoportrait, vers 1925. Whitney Museum, New York.

Maitre de la forme et de la lumière, Edward Hopper est certainement le plus célèbre des artistes américains du 20ème siècle. Salué pour ses scènes énigmatiques, ses décors urbains et ses personnages silencieux, il est LE peintre de la solitude et de l’aliénation de l’individu dans la société moderne.  

Partagées entre réalisme et naturalisme, ses toiles illustrent l’Amérique du début du 20ème siècle : une Amérique romancée, mystique, une Amérique des petites villes, des longs trajets et des interactions mélodramatiques.

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Edward Hopper, Gas, 1940. Museum of Modern Art, New York.

Les compositions d’Edward Hopper sont toujours sobres. L’artiste élimine les détails inutiles, les allégories, et refuse le dialogue direct avec le spectateurs : chez lui, tout est suggéré, et l’alchimie avec l’œuvre se réalise dans les songes du contemplateur. Sa vision de la vie, exprimée dans ses toiles, est intemporelle. En dehors du temps, son caractère universel touche un public toujours plus vaste.

Le symbole d’une mythologie américaine

Parfois traduit hasardeusement par « Noctambules » ou « Oiseaux de nuit », ce tableau aurait pu être inventé par un cinéaste. La composition s’ouvre sur l’angle d’une rue sombre et déserte. Semblable à un aquarium ou une cage de verre, un restaurant typiquement américain (le fameux diner) se détache de l’obscurité ambiante.

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Edward Hopper, Nighthawks (détails). Art Institute of Chicago.

Qui n’a jamais rêvé d’être transporté dans une toile d’Hopper ? D’être téléporté dans cette rue sombre, tel un passant silencieux contemplant d’énigmatiques interactions dans un silence religieux ?

Ce diner, baptisé Phillies comme en témoigne l’enseigne au-dessus des vitres, est un refuge pour ces oiseaux de nuit (Nighthawks). La scène n’est pas une réalité matérielle, elle n’a pas été peinte sur le motif comme le faisaient les peintres impressionnistes qu’affectionnait Edward. Elle a été réalisée en atelier, selon un précieux mélange d’imagination, d’anciennes esquisses et de souvenirs dans l’esprit du peintre. En résulte de ce précieux assemblage : un cocktail de fascination mélodramatique, une invitation à l’analyse et à la méditation pour le spectateur.

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Edward Hopper, Nighthawks (détails). Art Institute of Chicago.

Au centre de la composition, une homme de dos renforce l’ambiance énigmatique de l’œuvre : que fait-il ici, seul ? Les effets d’ombre sur son costume et son chapeau nous amène à considérer avec plus de ferveur son obscurité intérieure. Même si les indices sont maigres, une chose est sûre : cet homme a des choses à se reprocher.

Le souci du détail

Si cette œuvre est la plus célèbre de l’artiste, c’est également grâce à une facture impeccable et à de nombreux détails excellemment positionnés. Intéressons-nous maintenant aux subtilités de cette composition :

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La première chose frappante dans cette peinture, c’est surement la paroi vitrée qui hiérarchise tous les éléments de la composition. Ici, Hopper réalise une prouesse picturale en rendant visible cette vitrine à l’angle du bar, puis en la faisant presque disparaitre sur le reste de la toile, comme une illusion, laissant place à un curieux spectacle de vie nocturne.  

La maitrise de l’artiste se traduit aussi par le choix et l’emplacement des détails : chacun d’entre eux se répondent, souvent par symétrie, parfois par contraste. Certains éléments fonctionnent par groupes : c’est le cas des tabourets, des fenêtres (en haut à gauche), des soubassements de la vitrine, du bar et de la petite boutique. D’autres fonctionnent en binômes : c’est le cas des percolateurs à café et du couple assis face au spectateur, tout deux se répondent mutuellement.

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Enfin, n’oublions pas que l’art d’Edward Hopper magnifie la solitude, et Nighthawks ne fait pas exception. De nombreux éléments picturaux fonctionnent individuellement : (évidemment) l’homme de dos accoudé au bar, mais également le serveur avec sa toque blanche, la caisse enregistreuse visible sur le comptoir de la boutique vide, mais aussi et surtout la porte orange, au bord droit de la composition et en pleine lumière, qui s’oppose à l’obscurité ambiante de la rue à l’extrême gauche de la toile.

Vous l’aurez compris, derrière cette œuvre d’apparence sobre et lustrée se cache une réelle complexité et un soin du détail particulièrement fascinant. Pour le journaliste Gérard Guégan, « Edward Hopper c’est l’Amérique réelle, l’Amérique du brun, du fauve et du bleu électrique dans la nuit qui inquiète. Hopper est le peintre d’un siècle qui dérive. Un jour futur, on lira l’Amérique à travers lui. ».

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Edward Hopper, Second Story Sunlight, 1960. Whitney Museum, New York.

La poésie et la facture lisse de ce tableau en ont rapidement fait une légende de l’Histoire de l’Art. Depuis sa création, de nombreux artistes et dessinateurs se sont appropriés l’œuvre pour servir différent propos : tantôt une simple référence bien pensée, tantôt une satire soigneuse de l’esprit américain.

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Sebastien Devore, Le Bar de Moe, 2020. Prints disponibles sur Artmajeur.

Les images d’Hopper sont comme les photographies tronquées d’une période lointaine : nous finissons par croire en leur vérité, en oubliant parfois qu’elles ont été romancées, imaginées par un artiste au talent si raffiné.

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