"FLOWER AMSTERDAM" (2017) Peinture de Carolina Vis.
C'était Janel Sobel au lieu de Jackson Pollock...
En situant cette histoire dans l'histoire de la technique du dripping, je commence, pour l'instant de manière inintelligible, par parler de Janel Sobel au lieu de Jackson Pollock, afin d'illustrer la vie et le parcours artistique d'une peintre qui, bien qu'encore sous-estimée, a en fait changé radicalement le destin du monde de l'art, ainsi que l'approche abstraite du maître américain susmentionné et bien connu. Sobel était une peintre expressionniste abstrait né en 1893 à Dnipro, dans l'actuelle Ukraine, au sein d'une famille juive qui a malheureusement perdu le chef de famille lors d'un pogrom sanglant, un soulèvement contre lequel l'artiste a dû se réfugier à New York avec sa mère et ses frères et sœurs. Sa vie difficile ne la conduit pas initialement vers l'art, discipline pour laquelle elle doit mettre de côté son amour et son intérêt afin de se consacrer à ses cinq enfants issus de son mariage avec un orfèvre à l'âge de seize ans. C'est toutefois sa progéniture qui lui offre l'occasion de réveiller sa passion endormie, à tel point que Sobel commence à peindre à l'âge de quarante-quatre ans, encouragée par son fils adolescent qui, comme une sorte de "Pygmalion", reconnaît le talent de sa mère et favorise son développement artistique. À partir de ce moment, Sobel a commencé à peindre dans son appartement de Brighton Beach (New York), laissant libre cours à sa créativité "vierge", c'est-à-dire autodidacte, en utilisant le matériel artistique de ses enfants : papiers découpés, enveloppes, morceaux de carton, coquillages trouvés sur la plage, etc. Les motifs de ces processus convergeaient souvent pour donner forme à ses souvenirs d'enfance, rendus par des citations de l'art populaire ukrainien, des coutumes régionales, des familles juives traditionnelles, etc., parfois aussi peints grâce à l'utilisation de techniques automatiques innovantes inventées, qui donnaient lieu à des compositions abstraites proches de certaines des méthodes employées par la peinture surréaliste. Dans ce contexte, il convient de souligner comment, si ses premières œuvres, caractérisées par une poésie primitiviste prévalente, étaient marquées par des formes oniriques flottant sur des paysages enchantés dignes de l'exemple du Chagall un peu plus âgé, ses œuvres ultérieures sont passées d'une cadence expressive amorphe plus ambiguë, à des impulsions surréalistes, à l'abstraction pure, dans laquelle, pour la première fois dans l'histoire de l'art, Sobel a inventé la technique du dripping en expérimentant l'utilisation d'un compte-gouttes. Oui, vous avez bien lu, l'histoire de l'art, telle qu'elle a toujours été relatée, fait état d'une importante inexactitude, identifiant souvent la figure de Jackson Pollock, également connu sous le nom de Jack the Dripper, comme le créateur de cette façon de faire communiquer la peinture avec le support. Malgré ce choc, il ne faut pas oublier que c'est l'œuvre de l'artiste américain qui a mis au premier plan cette technique qui, pour la première fois, a été effectivement liée au monde de l'inconscient, comme un instrument révélateur, capable de donner forme, à travers les impulsions de l'acte physique de peindre, à un geste d'une grande puissance émotive, capable de révéler les mouvements profonds de l'être. Ce dernier ne cachait d'ailleurs pas qu'il était inspiré par Sobel, comme il le déclarait en 1961, année où le critique d'art Clement Greenber écrivait : "Pollock a admis que les peintures de Sobel l'avaient impressionné.
SAMSON (2022) Peinture par Ykstreetart.
PROFITEZ DU FOND BLEU (2022) Peinture de Michael Edery.
Comparaison Sobel / Pollock
Après cette révélation, pour laquelle je suis sûr que vous ne dormirez pas cette nuit, je considère qu'il est opportun de comparer l'œuvre des maîtres susmentionnés, à travers une comparaison impliquant la technique, le chromatisme et les sujets, qui ont été réalisés dans certains des chefs-d'œuvre indiqués ci-dessous, en premier lieu, Milky way (1945) de Sobel et Galaxy (1947) de Pollock. Dans le premier tableau, réalisé au moyen d'une méthode de réalisation rapide et spontanée, des gouttes sont placées sur un fond multicolore, où elles prennent vie entrelacées dans des nuances de rose et de jaune, une couleur que l'on peut également détecter, cette fois-ci de manière exclusive et prédominante, dans l'œuvre précitée de 1947. Outre les affinités techniques et chromatiques, les titres mêmes des tableaux nous renvoient à l'immensité de l'univers qui, dans le cas du peintre américain, a pris forme à partir d'un pinceau dégoulinant qui, délibérément, ne recouvrait pas entièrement la couche de peinture sous-jacente, sur laquelle l'artiste a également inséré de petits morceaux de gravier afin d'en augmenter la consistance. Des similitudes purement chromatiques peuvent en revanche être trouvées entre Untitled (JS-015) (1946-48) de Sobel et Free Form (1946) de Pollock, où la présence du rouge et du noir s'impose, bien que dans l'œuvre du peintre ce soit la couleur du sang qui domine toutes les autres, alors que dans la peinture de l'Américain c'est le noir qui a le dernier mot, s'imposant comme la couche la plus élevée de la composition. Si l'on pense un instant à Sobel, la même année, elle réalise deux autres œuvres dans lesquelles le rouge joue un rôle prépondérant, comme Untitled (1946) et Untitled (1946-1948), qui, observées toutes les trois ensemble, apparaissent comme une escalade progressive de la prédominance de cette teinte. Pour en revenir à "Sobel contre Pollock", je propose de comparer l'animal, ressemblant à un renard anthropomorphe, dans Sans titre (1947) du peintre de Dnipro, avec les bêtes immortalisées par Mural (1943) de Jackson, puisque, dans ce dernier cas, l'abstraction faunique du maître américain aurait probablement précédé celle de Sobel. Mural, en effet, donne forme, au moyen de signes entrelacés sur un fond blanc, à des lignes, des lettres et des visages d'animaux qui, très stylisés, visent à décrire la fuite précipitée des bêtes des plaines de l'Amérique occidentale, en s'inspirant des manifestations artistiques des Amérindiens et des peintures murales mexicaines. Pour terminer avec la figure humaine, trois grands visages stylisés, peints dans des tons à prédominance rose et rouge, animent Untitled (1946) de Sobel. Pour reconnaître la figure humaine dans l'œuvre principalement abstraite de Pollock, il faut remonter à 1942, année de la création de The Moon Woman, une peinture qui témoigne de la manière dont l'artiste a été fortement influencé dans ses premières œuvres par Joan Miró et Pablo Picasso, tout en faisant sien le concept surréaliste de l'inconscient comme source d'art. Enfin, l'histoire de Pollock se poursuit dans l'art contemporain, où son œuvre sera comparée, cette fois, à l'investigation picturale d'artistes d'Artmajeur tels que : Dam Domido, Carolina Vis et Emily Starck.
ORANGE (2017) Peinture d'Alessandro Butera.
GOUTTES JAUNE (2023) Peinture de Dam Domido.
Dam Domido : Dégoulinant jaune
Du point de vue de l'histoire de l'art, la créativité picturale de Dam Domino se situe dans le cadre des recherches menées par l'expressionnisme abstrait, un mouvement qui inclut, de manière incontournable, la technique du dripping, qui est souvent le protagoniste des œuvres de cet artiste. C'est précisément à travers cette dernière que l'acrylique, ou l'huile, tombe du pinceau de Domino de manière intuitive, afin de synthétiser, également à travers l'utilisation de nuances intenses, des fragments de sentiments, qui sont soigneusement recherchés, attrapés et capturés par le peintre. L'objectif, la synthèse de l'ensemble, est la réalisation d'une subjectivité plus authentique, qui s'explicite à travers le rendu le plus complet de la liberté tonale et rythmique de la création picturale. Cette extériorisation se retrouve, par exemple, dans Yellow dripping de Domino, une œuvre à comprendre comme une pure synthèse de l'énergie du geste, que j'ai identifiée, de manière quelque peu créative, comme une sorte de "zoom", ou un détail plus synthétique, d'un chef-d'œuvre qui, en plus d'être plus grand, se caractérise par une plus grande superposition de la couche picturale : Blue Poles Number 11 (1952) de Pollock. En ce qui concerne ce dernier, une série d'interventions gestuelles ont été disposées sur le champ pictural triangulaire, selon des orientations multiples, au sein desquelles on peut identifier des gouttes, des écheveaux et des enchevêtrements de lignes colorées. Dans ce tissu de traces liquides et curvilignes, huit formes verticales sombres sont identifiées, qui, comme le suggère le titre, pourraient être des objets identifiables de la réalité, ou des poteaux, qui ont été interprétés comme étant similaires aux "silhouettes" des totems ou aux grands mâts des navires.
EMOTOGRAPH (I) (2022) Peinture d'Aatmica Ojha.
Aatmica Ojha : Émotographe
Le dripping est également un élément fondamental de l'abstractionnisme d'Aatmica Ojha, artiste née en 1989, qui utilise et expérimente cette technique, non seulement par le biais du mouvement plus classique du dripping, mais aussi par une peinture plus solide et compacte. La peintre, qui se définit comme se situant entre la création spontanée et la création planifiée, et dont le travail est ouvertement axé sur la recherche de la beauté, a elle-même créé le mot qui donne son titre à son œuvre, Emotograph, qui, selon Ojha, signifie "graphique des émotions", un concept à comprendre comme un processus artistique en noir et blanc, visant à combiner le dripping et le flow. Ce dernier terme fait référence à cette passion/inspiration particulière et sincère qui anime le processus de création artistique, à comprendre comme un moment fertile où les idées et les intuitions, qui s'écoulent plus rapidement, donnent de la satisfaction, ainsi qu'une fusion intense, avec ce que nous faisons. Ce dripping intuitif et primordial nous ramène nécessairement à l'exemple de Pollock, puisque le rassemblement très chromatique d'Emotograph semble être suivi d'une explosion hypothétique, visant à séparer davantage la distribution du noir et du blanc sur le support, tout comme cela se produit dans le Number 23 (1947), chromatiquement similaire, du maître américain. En ce qui concerne ce dernier chef-d'œuvre, la peinture sur papier est composée d'écheveaux superposés de peinture émaillée noire et blanche, dont la composition a été créée en faisant couler la couleur sur le support par les quatre côtés, une technique qui rend bien l'idée d'une sensation de mouvement frénétique inhérente à l'image, visible depuis différentes orientations de cette dernière.
LA CRITIQUE EST PLUS FACILE QUE LA PRATIQUE (2022) Peinture d'Emily Starck.
Emily Starck : La critique est plus facile que la pratique
Emily Starck est une peintre abstraite autodidacte qui, après s'être essayée à diverses techniques, s'est nécessairement confrontée à une technique légendaire, celle de Max Ernst, développée par Janel Sobel et formalisée par Pollock : le dripping. S'il n'y a plus grand-chose à dire sur cette dernière technique, largement évoquée plus haut, la matière à réflexion est fournie par le titre même de l'œuvre de l'artiste d'Artmajeur, parfait pour résumer une tendance ancienne, qui trouve aujourd'hui surtout sa place dans les médias sociaux. "To criticise is easier than to do", critiquer est plus facile que d'être, critiquer est plus facile que de penser, voilà ce qui nous vient à l'esprit quand on lit les commentaires sur Instagram, où chacun prétend être un expert, sans même avoir une idée de ce qui se passe dans la tête, la vie, le portefeuille, etc. de la personne qui apparaît à l'écran. Une telle superficialité, traduite en langage artistique, est la suivante : le dripping de Pollock aurait pu être fait par moi ! C'est précisément à ces voix insidieuses que Starck a très probablement voulu répondre, voulant suggérer à ceux qui ne réservent pas de bons mots à son œuvre, de répondre avec le pinceau, plutôt qu'avec la bouche. Pour en revenir à l'histoire de l'art, les couleurs de Criticism is easier then practice, exécutées principalement en noir et blanc, rappellent de nombreuses œuvres de Pollock, telles que : Greyed Rainbow (1953), Number 32 (1950), Yellow Islands (1952).