Quand l’Art de Christo emballe l’Arc de Triomphe !

Quand l’Art de Christo emballe l’Arc de Triomphe !

Bastien Alleaume | 19 août 2021 5 minutes de lecture 0 commentaires
 

C’était le rêve de l'artiste  Christo : le 18 septembre prochain, un véritable morceau de patrimoine s’offrira une seconde peau éphémère. Pendant deux semaines, parisiens et touristes pourront redécouvrir ce symbole chargé d’histoire drapé de bleu argenté et ficelé de cordes rouges.

Revenons ensemble sur cet évènement hors du commun, mettant en scène l’un des monuments les plus importants de la capitale française !

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Un couple aux ambitions monumentales

Christo et Jeanne Claude, décédés respectivement en 2020 et 2009, forment un couple d’artistes extraordinaire. Comme une prédestination de leur union, ils sont nés tous les deux le même jour à la même heure (13 juin 1935), à deux endroits éloignés du globe : Christo à Gabrovo, en Bulgarie, et Jeanne Claude à Casablanca, au Maroc.

Les deux compères se rencontrent en 1958. A 23 ans, ils tombent rapidement sous le charme et entament leur collaboration artistique. Christo s’occupera de la partie artistique (dessin et conception) tandis que Jeanne-Claude mobilisera ses capacités organisatrices pour mettre sur pieds les projets titanesques de son mari.

Proches du Land Art bien qu’ils en refusent l’appellation, le couple produit des œuvres gigantesques et temporaires à partir de toiles, de draps, de câbles et de structures boisées ou métalliques, et utilise des monuments et symboles patrimoniaux comme base de travail. La majorité de leurs œuvres consistent en « l’empaquetage » de bâtiments, de monuments, de paysages ou de lieux iconiques. Ils « révèlent en cachant » le symbole, la beauté ou l’usage du lieu sur lequel ils interviennent.

20457706lpw-20457696-libre-jpg-7177065.jpgChristo et Jeanne Claude en 1985

C’est à partir des années 60 que le couple parvient à mettre en place ses premières installations in situ. Ephémères et souvent incomprises, celles-ci parviennent toutefois à marquer l’opinion publique et les collectionneurs, qui s’intéressent progressivement à cette démarche tout à fait inédite et en dehors des sentiers de promotion artistique classiques (atelier, galerie, musée).

Intransigeants, le couple traversa de nombreuses difficultés financières, sans faire de concessions. Malgré une multitude de projets monumentaux et onéreux, ils n’ont jamais cédé aux facilités de subventions par des organismes extérieurs, galeries, institutions ou autres sponsors, qui auraient pu impacter la véritable liberté issue de leur démarche. Dans la contrainte, ils préféraient donc prendre le temps de financer chacune de leurs idées par leurs propres moyens, c’est-à-dire généralement par la vente d’esquisses et de dessins préparatoires réalisés par Christo.

Hier controversés, aujourd’hui incontestables

Au fil de leur carrière, Christo et Jeanne-Claude sont devenus de plus en plus célèbres, et donc de moins en moins contestés pour leurs idées. Pourtant, le pari n’était pas gagné d’avance. En 1962, lorsque les deux amants installent leur œuvre Iron Curtain (un mur de barils haut de 4,30m) en plein Paris, ils sont arrêtés par les forces de l’ordre. En 1983, leur œuvre Surrounded Islands (une ceinture en toile rose entourant deux iles à Miami) soulèvent une nouvelle controverse quant à l’impact écologique de l’installation. Les artistes ont pourtant employé plusieurs biologistes et spécialistes environnementaux dans leurs équipes, et ont également financé la dépollution des iles en amont, à leurs frais.

En 1985, le couple emballe le pont Neuf à Paris. Là-aussi, ils subiront de vives attaques aussi bien politiques que publiques : une partie du public, (trop) conservatrice, ne comprend pas l’intérêt d’une telle œuvre sur le domaine publique. Complètement auto-financée, cette installation sera une réussite et participera au succès de Christo et Jeanne Claude auprès du public français. Les mêmes réticences naitront également de leur projet allemand visant à empaqueter le Reichstag (1995).
Malgré une puissante contestation politique, plus de 5 millions de personnes se déplaceront pour apprécier l’œuvre à Berlin.

611e4e10c1ac10.53130470_reichstag-wrapped.jpgChristo et Jeanne Claude, Reichstag Empaqueté, 1995. Photo : Oscar Wagenmans.

Christo exprimera même de son vivant : "Tous nos projets sont totalement irrationnels, totalement inutiles. Personne n'en a besoin. Le monde peut vivre sans eux. Ils existent en leur temps, impossible à répéter". Une véritable volonté artistique, vertueuse et anticapitaliste, aux antipodes du grand business de l’art contemporain, incarné par des personnalités telles que Jeff Koons ou Damien Hirst.

Le projet en chiffres

Intitulée L’Arc de Triomphe, Wrapped, cette œuvre monumentale révèle des chiffres aussi impressionnants que sa réalisation. Attention, vertige !

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  • 60 ans de travail. 

Cette prouesse a été rendue possible grâce aux nombreux travaux préparatoires de Christo et sa femme, ainsi que par la détermination sans faille de ses héritiers et de ses équipes, qui permettent aujourd’hui à ce rêve titanesque de voir le jour.
En 1959, Christo réalise son premier photomontage d’emballage de l’Arc de Triomphe. 26 ans plus tard, il revisite ce projet laissé de côté par un nouveau collage. Ce n’est que 60 ans plus tard, en 2020, que le projet se concrétise grâce à la mobilisation conjointe du Centre des Monuments Nationaux, de la Ville de Paris et du Centre Pompidou.

  • 25000 m2 de tissu bleu argenté et 3000m de corde rouge. 

Tous les matériaux utilisés seront intégralement recyclés après le démontage de l’œuvre, dans le respect des volontés exprimées par Christo avant sa mort. Trois équipes se relayent actuellement jour et nuit pour agencer le monument avant son drapage.  

  • 16 jours d’exposition (18 septembre - 3 octobre 2021).

Christo et Jeanne-Claude souhaitaient avant tout que leurs œuvres soient éphémères : « l'urgence d'être vu est d'autant plus grande que demain tout aura disparu… Personne ne peut acheter ces œuvres, personne ne peut les posséder, personne ne peut les commercialiser, personne ne peut vendre des billets pour les voir… Notre travail parle de liberté ». Celle-ci ne dérogera pas à la règle, puisqu’elle sera démontée seulement 2 semaines après sa mise en place.

  • Coût total : 14 Millions d’euros. 

Ce projet est entièrement financé par la vente des œuvres de Christo (esquisses et dessins préparatoires), sans recourir à aucune contribution publique. Et c’est assez rare pour être souligné.

Un vidéo pour suivre l'évolution de cette fascinante épopée 

Malheureusement, le couple qui transforme les monuments en expérience poétique ne pourra jamais assister à la réalisation de leur dernière obsession commune. Toutefois, le communiqué du studio se veut rassurant : "Christo a vécu sa vie pleinement, ne se contentant pas de rêver à ce qui semblait impossible, mais en le réalisant". Avec Jeanne Claude, ils ont conçu des œuvres monumentales « qui ont rassemblé des gens dans des expériences partagées à travers le monde, et leur travail vit dans nos cœurs et nos mémoires". Nous n’aurions pas pu mieux conclure cet article : Chapeau l’artiste !

Pour les plus curieux, un vidéo est disponible sur la chaine YouTube du Centre des Monuments Nationaux, résumant étapes par étapes la conception de cette fascinante œuvre d'art, installée en plein cœur de Paris :


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