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Andreea Talpeanu

Retour à la liste Ajouté le 3 août 2022

Proposition de l’art hypermoderne

                                           

                   

Dans un contexte géopolitique toujours plus complexe, diverses facettes du monde se conjuguent ou s’opposent : d’un côté l’hyper-connectivité, le transhumanisme, les mutations génétiques, les guerres technologiques et économiques et la prolifération d’objets, voire de déchets, au-delà de l’atmosphère terrestre. De l’autre : une paupérisation croissante d’une partie de la société, des individus privés de droits fondamentaux, des guerres culturelles et ethniques ainsi qu’un dérèglement environnemental majeur. Si l’art est le reflet imparfait de ce monde défectueux, il n’en reste pas moins l’acteur d’un progrès culturel et social. La valeur marchande des objets artistiques, ainsi que leur financiarisation, font écho à la marchandisation du monde. Ceci résulte de la faiblesse idéologique de l’art encouragée par des rapports et des réseaux sociaux dégradés. Bien que les limites entre création et production artistique semblent brouillées, le besoin sociétal de structuration culturelle et identitaire n’a jamais été aussi fort. Les caractéristiques polymorphes et paradoxales de la société hypermoderne confèrent à l’art des possibilités sans précédent, même si elles sont escamotées trop souvent par des discours superficiels.

                   

A partir de ces constats la proposition de l’art hypermoderne serait la suivante :

                   

Ce courant se caractérise tout d’abord par un dualisme : une remise en marche de la modernité et la cri- tique de son héritage. Il conteste à la fois certaines pratiques traditionnelles, mais également la fuite en avant d’une croissance qui ignore les aspects environnementaux, socio-économiques et éthiques.

                   

Concernant l’artmoderne, là où Constantin Brancusi ,Hans Arpet Éva Hesse aspirent à une épuration de la forme tout en accordant à l’homme une place hégémonique au sein de la nature et de son environnement, en revanche, Marcel Duchamp, Marisa Merz et Louise Bourgeois s’affranchissement de cette idéologie, déniant à l’humain sa prétendue supériorité. Par conséquent, l’expression hypermoderne, sertie de valeurs polymorphes et de pos- tures paradoxales, s’inscrit dans la continuité du modernisme ; un art aux multiples intentions contradictoires. Caractérisé par un large panel de disciplines et une grande liberté thématique, le plus import- ant des crédos de l’art hypermoderne s’avère l’ancrage dans le présent. En ce sens, l’hypermodernité en art se veut le reflet des mouvements divergents et des mutations propres à notre société.

                   

Le deuxième aspect de ce courant artistique est le recyclage, tant matériel qu’idéologique. Qu’il s’agisse des problématiques contemporaines traitées sous des formes poétiques, hermétiques ou très critiques, l’hypermodernisme se déploie et embrasse toute une nuance d’expressions esthétiques, le plus souvent recyclées. Ce courant éclectique, fort de multiples visions et de représentations recyclées est une forme de continuité exacerbée du modernisme. Le recyclage est une philosophie importante de l’homme hypermoderne et donc de l’artiste hypermoderne, non pas seulement par la volonté de reconstruire le biotope, mais aussi pour perpétuer certaines valeurs modernes. Le recyclage idéologique présent dans les ready-mades modernes de Duchamp, ou le recyclage physique de matériaux dissimulés dans les Nus hypermodernes présentés ici, sont deux gestes très différents. Le premier geste de recyclage est un hommage au modernisme, alors que le second est une critique du contemporain. Concernant ce dernier aspect, du fait des possibilités revisitées du modernisme, l’artiste comme l’individu hypermoderne se retrouvent face à un très grand choix d’objets et de sujets. Cette effervescence permanente d’objets et de sujets mène à des gestes inaboutis, laissant l’individu et l’artiste hypermoderne en prise avec des accumulations où des trop-pleins. À l’image des œuvres de Thomas Hirschhorn, l’artiste hypermoderne est souvent confronté à des amas physiques ou idéologiques qu’il renouvelle via le spectre de l’information marquante, en choisissant de retransmettre ce qu’il considère comme le plus important. Cette sélection individuelle et arbitraire, exacerbe le processus et le contenu de l’hypermodernisme en créant des variations plus nombreuses qu’elles ne l’étaient dans le modernisme.

                   

Le troisième aspect propre à l’art hypermoderne est le syncrétisme, soit la capacité de fusionner des questions issues de champs divers du système contemporain. Cette particularité très présente dans le monde actuel se reflète dans ce courant artistique. Le contemporain est rarement disloqué, mais fonctionne en autarcie avec la machine de production, qui s’avère hyper connectée, hybride, mutante, foisonnant de tâches séquencées ne pouvant subsister en dehors de l’ensemble.

                                                   

Ces particularités agrégées correspondent aux « n dimensions » ou au polymorphisme de l’hypermodernisme. En art, ce syncrétisme se traduit à la fois par du contenu qui fait référence à des aspects très variés du monde, qui s’imbriquent soit au moyen de “religiosités” bien différentes, soit par des mélanges de styles. Pour donner un exemple d’un artiste précurseur de l’hypermodernisme, les « Sculptures génétiques » de Jacques Lizenne résultent de la fusion d’objets religieux avec des formes représentant des sexes. Évidemment que ce processus est un vecteur de polysémie, mais ce n’est pas par ce biais que le syncrétisme se veut générateur. Ce sont les chocs des champs d’expression qui opèrent la fusion. Par le même biais, Orlan fait de son individualité, marquée par plusieurs processus de transformation tout au long de sa carrière, un objet militant, chair à mutations, machine et robot, entité primitive ou cubiste, etc. Cette fois-ci, ce qui relève du syncrétisme ne réside pas dans la polysémie de chaque œuvre qu’Orlan met en exergue, mais dans la fusion de toutes ces œuvres dans un corps unique.

                   

Pour en conclure, l’art hypermoderne est une prolongation du modernisme. Son contenu fait référence à des critiques ou éloges individuelles ou sociétales. Esthétiquement il n’a pas de prérogatives, car souvent il recycle des mouvements d’expression du passé. Le syncrétisme formel ou informel est propre à ce mouvement parce qu’il reflète l’hyper-morphisme du monde actuel.

                                       

Artmajeur

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