Décrypter les chefs-d’œuvre : Le Doigt d’Honneur de Maurizio Cattelan

Décrypter les chefs-d’œuvre : Le Doigt d’Honneur de Maurizio Cattelan

Bastien Alleaume | 20 sept. 2021 5 minutes de lecture 0 commentaires
 

Monumental, antique et colérique : mais quelle est l’histoire derrière ce doigt d’honneur qui fait face à la Bourse de Milan ? Aujourd’hui, Artmajeur vous emmène à la découverte d’une œuvre d’art publique, aussi curieuse qu’audacieuse : L.O.V.E de Maurizio Cattelan.

zyro-image.pngMaurizio Cattelan à côté de l'une de ses sculptures. Crédit photo : Alain Jocard (AFP/Getty Images).

Maurizio Cattelan, l’homme aux 1000 polémiques

Si vous n’avez jamais entendu parler de ce monstre de l’art contemporain, une courte présentation s’impose : Maurizio Cattelan est né à Padoue (Italie) en 1960. Il s’installe rapidement à New York pour suivre une vocation qui lui trotte dans la tête : devenir artiste. Personnage atypique, il devient rapidement une « marque à succès », qualifié parfois de « supermarché de l’art » en enchainant les polémiques autour de ses œuvres satyriques qui font régulièrement grincer des dents.

Charlatan pour certains, génie pour d’autres : ce trublion de l’art contemporain manie l’ironie à la perfection, et maitrise comme personne l’art de repousser les limites. Avec un humour trash assumé, Maurizio Cattelan sait mettre le doigt là où ça fait mal : il nous place à côté de nos peurs, de nos tabous, de nos incertitudes. Il cherche avant tout à nous mettre mal à l’aise, et c’est souvent réussi. 

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Maurizio Cattelan, Him, 2001. 

Son dernier coup d’éclat retentissant : une banane scotchée au mur lors de la foire Art Basel Miami en 2019 (Comedian), mais aussi : le pape Jean Paul II écrasé par une météorite (La Nona Ora), une statue d’Adolphe Hitler priant à genoux (Him), une cuvette de toilette en or massif, utilisable par les visiteurs (America), ou encore un éléphant grimé du costume du Ku Klux Klan (Not Afraid of Love).
Alors, ça vous dit quelque chose ?

Avec Jeff Koons et Damien Hirst, Cattelan fait partie des artistes contemporains les plus collectionnés de tous les temps, et, comme eux, il lui arrive d’installer des sculptures monumentales sur le domaine public : alors, c’est quoi cette histoire de doigt ?

Une sculpture qui divise

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Maurizio Cattelan, L.O.V.E, 2010. Milan. 

L’œuvre à laquelle nous allons nous intéresser aujourd’hui s’appelle L.O.V.E : c’est une sculpture d’inspiration antique, taillée dans un bloc de marbre de carrare, représentant une main sur laquelle tous les doigts ont été coupés, à l’exception du majeur. Installée sur un piédestal monumental, l’œuvre mesure 11 mètres de haut, et surplombe la Plaza degli Affari, juste devant la Bourse d’Italie à Milan (capitale financière), dans le quartier des affaires. Elle fait face au Palais Mezzanotte, comme pour humilier satiriquement ce temple des finances italiennes.

Pourquoi « L.O.V.E » ?  L’artiste explique que chacune des lettres doivent être prises séparément, puis considérées comme un tout : L pour Liberta (liberté), O pour Odio (Haine), V pour Vendetta (vengeance), et E pour Eternita (éternité).

La provocation est évidente : le majeur se dresse face à la violence du capitalisme moderne. La charge communicative de l’œuvre est d’autant plus impressionnante que la sculpture se présente avec une monumentalité triomphante : le marbre est lumineux, les veines sont solidement visibles, l’intention est sans équivoque.

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Maurizio Cattelan, L.O.V.E, 2010. Milan.

Une durée de vie discutée 

Cette sculpture fut présentée en 2010, à l’occasion d’une exposition rétrospective de l’artiste au Palazzo Reale (Palais Royal de Milan), qui se trouve à quelques centaines de mètres de la place de la Bourse.

Au départ, l’œuvre, controversée par nature, devait rester sur son piédestal pendant toute la durée de l’exposition (1 mois), mais certains réactionnaires influents (politiques et financiers) souhaitaient la voir disparaitre plus rapidement encore. Progressivement, une lutte secrète s’instaure entre les dirigeants des administrations financières, qui se sentent humilier par un tel affront, face aux dirigeants des institutions culturelles milanaises et la mairie.

D’un côté, l’administration financière guidée par Guiseppe Vegas (président de l’autorité boursière à l’époque), souhaite voir disparaitre l’œuvre et menace d’organiser ses évènements en dehors de la ville. Pour eux, c’est une trahison : la municipalité autorise la présence d’un cheval de Troie en plein cœur de leurs quartiers généraux. De l’autre côté, la maire de Milan (Letizia Moratti), et le directeur du Palazzo Reale refusent de céder aux caprices de ces hommes d’affaires en déficit d’auto-dérision, et voient en cette sculpture une opportunité d’affirmer la force culturelle de la ville (tout en profitant du tourisme artistique).

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Maurizio Cattelan, L.O.V.E (détails). 

Dans l’épicentre de la polémique, Maurizio Cattelan en profite pour attiser la colère des boursiers, en déclarant être prêt à offrir la sculpture à la ville si la mairie l’autorise à rester installée sur cette même place, de façon permanente.

Face à cette ultime provocation, un bras de fer s’enclenche. Mais c’était sans compter l’emballement médiatique et populaire, et les instincts de modernité de la mairie : devant l’enthousiasme des spectateurs, la ville décide de prolonger l’expérience pour un an.

Depuis, 10 ans se sont écoulés et la sculpture est toujours à sa place : les boursiers ont cédé, ils se sont habitués à la présence de cette monumentale insolence. Plusieurs maires se sont succédé à la présidence de la ville, sans jamais remettre en question l’emplacement ou l’existence de cette œuvre qui fait désormais partie du quotidien des milanais.

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Le doigt, vernis par un militant à l'occasion de la Journée de la Femme (2021). 

Devenue un symbole culturel autant qu’une véritable attraction touristique, l’œuvre irrévérencieuse en profite pour participer à quelques collaborations étonnantes. Comme son cousin belge, le Manneken Pis, on la déguise parfois pour certains évènements, comme le dernier happening en date : un partenariat avec La Casa de Papel (Money Heist en anglais). Association efficace - puisque les deux œuvres partagent ensemble une particulière défiance vis-à-vis du système capitaliste.

A découvrir :  La vidéo du happening Maurizio Cattelan x La Casa de Papel


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